Aïssa Droui est animateur numérique à la Bibliothèque Jean Macé, bibliothèque de quartier de la Ville de Lyon, ouverte en septembre 2008 où passent plusieurs centaines de personnes par jour. Il travaille en binôme avec Jérôme Louiche, transfuge normand, au sein d’un Espace Numérique équipé de 7 postes informatiques et ouvert 8 heures par jour. Impliquée dans le développement du réseau des EPN du Lyonnais, il est engagé dans les projets expérimentaux menés en Région Rhône-Alpes autour de la VAE collective pour les acteurs de la médiation numérique et la certification des compétences numériques des acteurs de la formation tout au long de la vie (C2i2e). Passionné et prolixe, il partage sa vision de l’accompagnement des publics.
Mon travail expliqué à une personne qui n’a jamais rencontré un animateur multimédia/numérique
Mon travail travail d’animateur numérique dans un bibliothèque c’est avant tout :
– d’offrir un accueil adapté dans un lieu, avec des ressources et outils numériques appropriés,
– d’accompagner les personnes dans les problèmes et soucis qu’elles sont amenées à rencontrer dans leur prise en main du numérique,
– de proposer des ateliers informatiques à différents publics, à titre individuel ou collectifs.
Ceci je le propose à tous, que cela soit un adolescent qui est sur un jeu vidéo, à celui qui souhaite faire un CV, à celle qui veut découvrir les réseaux sociaux, à la personne qui a des soucis avec son téléphone mobile.
Mon travail est encré dans un lieu public : une bibliothèque
C’est un lieu ouvert, à tous (près de 21% des français fréquentent une bibliothèque), où des gens de milieu très différents se côtoient. Les gens viennent pour y lire, des magazines, des livres, des mangas, des revues. Les espaces numériques sont un service relativement nouveau proposé. Dans ce lieu, l’accès se fait sans conditions de ressources, de niveaux, etc. Pour moi c’est un droit pour tous, et un devoir que de fournir ce service à l’ensemble des habitants d’un territoire.
La place des jeunes dans cet espace
Dans mon espace, ceux que je vois le moins sont les jeunes de 13 à 25 ans : il me semble que « l’offre numérique » n’est pas adaptée pour eux, que les contenus que nous proposons ne sont pas assez attractifs. J’aimerai leur offrir un lieu déchange sur leurs pratiques numériques autour d’une boisson. Que cela soit un moment convival avec des jeux, des jeux en groupe, des Cluedo géants, des chasses aux trésors, du court métrage, la possibilité d’organiser ensemble des sorties.
Mon organisation de travail
Si j’essaye de penser à mon organisation de travail c’est 70 % de face à face avec les public, 10 de réunions et 20% de préparation (et de veille).
D’où je viens ?
Au départ j’ai fait un BTS d’Action Commerciale, je voulais partir dans le social, mais on m’a conseillé de passer par du « général ». Après ce BTS j’ai passé une Licence en Sciences de l’Éducation car je voulais être enseignant. Mais entre temps, j’ai décroché un emploi jeunes « Animateur d’une bourse d’échanges de connaissances et savoirs » dans une Maison du citoyen. Par la suite j’ai rejoint un Point Information Jeunesse, comme animateur, j’ai passé mon BPJEPS « Gestion des EPN » au CREPS de Mâcon. J’ai aussi travaillé dans une association qui accompagnait des publics « de quartier » pour leur donner l’accès à l’outil informatique.
Ensuite j’ai travaillé pendant trois ans dans un Centre Social dans l’Ain dans un PIJ avant d’être recruté par le réseau des BM de la Ville de Lyon après un concours d’animateur territorial
Le numérique au service de l’Éducation Populaire
Le numérique pour moi c’est un outil, un support, une ressource pour permettre l’accès aux savoirs, à l’éducation, à l’autonomie, au vivre ensemble, à la culture. La maîtrise du numérique va permettre aux personnes d’avoir accès à des ressources pour s’épanouir, rencontrer l’autre, apprendre. A contrario, celui qui ne maîtrise pas se retrouve exclu de beaucoup de pratiques.
Pour moi l’accès au numérique, c’est un droit pour tous !
L’évolution de mon poste
Ma position a évolué. Elle est passée de celui qui « apprend à utiliser la machine » à celui qui accompagne une personne à trouver sa place dans des contenus immenses. L’enjeu aujourd’hui c’est de donner des clés pour que chaque personne puisse « ouvrir sa propre maison ».
Avec les groupes, le numérique est une ressource/support qui s’ajoute à d’autres contenus et ressources pour construire des projets, monter des actions communes.
Notre place sur le territoire
L’avantage d’être en réseau avec d’autres acteurs c’est de ne pas être identifié uniquement comme un « lieu » mais également comme une « ressource » disponible pour des projets multiples. Je nous imagine être beaucoup plus mobiles, à la fois en nous déplaçant physiquement mais aussi en étant présents « en ligne ».
Les qualités nécessaires pour ce poste
La première qualité c’est d’aimer travailler avec des publics variés et nombreux. J’échange avec 50 à 70 personnes différentes par jour ! La seconde qualité c’est de s’intéresser au numérique ! Car, quand même, pour suivre ce qui sort, les nouveaux outils, cela demande un investissement personnel fort. Par exemple, à titre personnel, j’ai investi dans une tablette pour en comprendre les usages.
La troisième qualité, c’est la patience, être prêt à se mettre au rythme des personnes, à répéter les choses, à prendre le temps nécessaire.
Mon ambition c’est de valoriser les personnes et d’avoir une attitude bienveillante.
Quelles sont les valeurs qui t’animent ?
Pour moi, il y a quatre choses essentielles sur lesquelles je m’appuye :
– Tout le monde est porteur de savoir et de connaissances – c’est vraiment le postulat d’éducabilité !
– Le partage : à travers ces moments de vie ce sont des humains qui échangent,
– Le plaisir !
– Permettre à chacun de se dire que l’on peut apprendre « pour soi », sans « intérêt marchand », y compris avec un effort sur soi.
Ce que je préfère dans ce travail ?
Ce qui me touche le plus ce sont les personnes qui arrivent avec très peu de connaissances et qui repartent en sachant faire de façon autonome ce qu’elles avaient envie/besoin de faire. C’est une vraie satisfaction quand tu sais que tu as mis à disposition les outils. C’est aussi important de permettre aux personnes de « faire comme tout le monde », phrase que l’on entend vraiment souvent.
Je pense à la situation d’une dame d’une cinquantaine d’année, qui ne maîtrisait que peu la langue française, sans travail mais qui était animée par une grande soif d’apprendre. Après un long parcours, avec beaucoup d’investissement de sa part, elle est devenue suffisamment autonome dans sa pratique et a fini par s’équiper et se connecter à Internet.
Ce que j’aime, c’est qu’à travers une action « classique » il peut se passer des déclics importants. Je me souviens de ce monsieur venu « pour du loisir » et qui a finit par reprendre des études.
Si tu avais du temps en plus, tu en ferais quoi ?
Je m’investirai sur des projets !
Par exemple, nous voudrions permettre à des personnes à faibles revenus d’avoir un ordinateur à la maison, pour cela il faudrait un accompagnement spécifique qui permette de répondre aux besoins que j’ai identifiés. Mais cela je ne peux pas le faire, je n’ai pas le temps.
Des exemples de projets à soutenir ?
Nous accompagnons un Groupe d’Entraide Mutuel (Groupe de mobilisation entre pairs de personnes en situation de handicap psychique) dans la réalisation de supports vidéos, nous les aidons sur le montage, à la fois de leur coté et ici.
Nous avons également travaillé avec un groupe « FLE : Français Langue Etrangere» d’un Centre Social en apportant un soutien à l’organisation d’un repas partagé.
Nous sommes sollicités par les éducateurs de rue autour des thématiques liées aux réseaux sociaux, par des parents d’élèves en collège, par les personnes qui animent un jardin partagé ouvert mais pour ce type de projets :
– nos horaires ne sont pas adaptés,
– nous aurions à revoir notre disponibilité et notre organisation.
La solidarité numérique
Être un animateur numérique c’est être conscient que d’autres ne sont pas à l’aise sur certaines choses et, en solidarité, on partage sa maîtrise, comme on pourrait le faire d’une connexion wi-fi !
Un de mes regrets c’est de ne pas pouvoir accueillir plus de personnes en situation de handicap, à la fois pour encourager les rencontres et accompagner des projets. Avec les personnes que nous accueillons nous travaillons autour d’objectifs de prise d’autonomie, de valorisation de compétences forts. L’enjeu c’est de se donner les moyens d’utiliser « comme tout le monde » le numérique.
Et dans 5 ans ?
Ces espaces, sous cette forme assez figée sont de moins en moins adaptés. L’équipement des personnes est de plus en plus important, la connectivité aussi. A mon sens, nous devrions aller vers une fonction de médiation numérique assez « neutre » , inscrite dans la notion de service public. Cette position nous mettrait en position d’accompagner, d’identifier, d’orienter, de comprendre les besoins des personnes et d’aider au repérage des réponses à apporter.
Dans 5 ans, j’aimerai animer des lieux d’échanges autour du numérique : échanges de connaissances et de savoir – dans une logique de partage très ouvert.
Pour moi les EPN dans cinq ans je les vois comme de beaux endroits, chaleureux, des lieux ouverts, dans tous les sens du terme : sans contraintes géographiques, présents dans la rue comme en intérieur.
Les animateurs feront vivre ces lieux de vie dans lesquels il sera possible de partager ses lectures, jouer, échanger, se promener dans son territoire, y compris de façon « augmentée ».
Je suis très content, car grâce à monsieur Aïssa, à sa gentillesse et sa patience et son savoir-faire, je me suis mis au numérique. Moi qui ne connaissais rien et je n’avais pas confiance,il m’a mis sur le bon chemin. C’est un homme indispensable au Service Numérique de la bibliothèque. Encore Merci Mr. Aïssa.